La surenchère médiatique, jusqu’à l’overdose. Le travail, d’abord effectué par Jean-Noël Buisson, responsable du service Veille et Analyse de l’agence de conseil en communication Image7, publié sur Twitter puis systématisé par Libération sur la base du travail de la plateforme de veille médiatique Tagaday, a établi la démesure du traitement médiatique de “l’affaire Palmade”. 29 905 citations relatives à ce fait divers ont été enregistrées entre le 10 février et le 28 février 2023, dans des contenus publiés par des médias français, ce qui correspond à un niveau d’occurrences semblable à celui de la mobilisation contre la réforme des retraites (32 741 citations).
Ce qu’on pourrait aussi convertir ainsi pour bien appréhender de l’ampleur du phénomène :
- 1 573 contenus publiés par jour portaient sur “l’affaire Palmade”, soit 1 contenu publié sur 90 et ce pendant 19 jours ;
- sur la même période, la production médiatique sur “l’affaire Palmade” équivalait à un quart de la couverture de l’actualité en Ukraine alors même que la guerre entamait sa deuxième année et que les médias multipliaient les éditions et les émissions spéciales.
L’analyse des données de Tagaday objective quantitativement la concurrence de sujets : du 11 au 28 février, à l’exception du 16 février (cinquième journée nationale de mobilisation), “l’affaire Palmade” surpasse la contestation de la réforme des retraites, et les 12 et 13 février, elle talonne même la guerre en Ukraine. La période définie pour l’étude de l’AJL a été marquée par trois autres faits divers : la mort d’une professeure poignardée par un de ses élèves à Saint Jean-de-Luz, la découverte d’une femme démembrée dans le parc des Buttes-Chaumont, à Paris, et celle des corps de Leslie et Kevin, disparus en novembre 2022. Chacune de leur couverture ne dépassera que pendant 24 heures la production médiatique sur “l’affaire Palmade”.
Au niveau de la répartition par médias, les contenus ont été majoritairement produits par la télévision et la radio (76%), par la presse en ligne (19%) et enfin par la presse papier (5%).
Une dernière manière d’objectiver cette bulle médiatique nous est fourni, une nouvelle fois, par l’agence Tagaday : Pierre Palmade figure à la 29e place de son classement 2023 des 1 000 personnalités de la presse française (+502 places par rapport à 2022) et arrive en tête parmi les personnalités “Culture & Médias” les plus médiatisées. A titre de comparaison, Justine Triet, Palme d’or 2023, était à la 283e place des personnalités “Culture & Médias”.
Un accident de la route comme les autres
– Dominique Rizet : “Ça veut dire, Maître [Josseaume], que c’est presque banal de conduire sous stupéfiants ? Vous disiez qu’un tiers [des accidents de la route implique une personne ayant consommé un stupéfiant] et que si ça n’était pas Pierre Palmade, on n’aurait jamais parlé de cet accident ?”
– Rémy Josseaume : “Vous avez raison, Dominique (…) Aujourd’hui, les tribunaux correctionnels sont totalement engorgés par ce type d’affaires.”
(extrait de l’émission “Affaire suivante” du 12 février 2023 sur BFM TV).
Le point de départ de “l’affaire Palmade” est, en effet, un accident de la route assez commun, presque banal statistiquement. Depuis 1999, pour la conduite sous l’empire de stupéfiants, le dépistage est systématique sur tout conducteur impliqué dans un accident mortel ; il a été étendu aux accidents corporels en 2021. Ainsi, cette même année, les forces de l’ordre ont mené 630 957 tests obligatoires et préventifs (auprès de conducteurs à l’arrêt) : 17% se sont révélés positifs. Les experts en accidentologie estiment qu’en France, un accident sur cinq implique un conducteur ayant consommé des stupéfiants. Quant à la consommation d’alcool, elle est en cause dans 30% des accidents mortels.
Des faits divers similaires ont mis en cause d’autres talents précoces, d’autres artistes populaires de la même génération, adoubés par la critique et les médias, sans pour autant déclencher un déferlante comparable à “l’affaire Palmade” : le comédien Benoît Magimel, par exemple, révélé à l’âge de 13 ans dans le film culte La vie est un long fleuve tranquille (1988), a été condamné en septembre 2017 pour “tentative d’acquisition” de stupéfiants et consommation d’héroïne et de cocaïne, trois mois après l’avoir été pour avoir renversé une passante en 2016 et conduit sous l’emprise de stupéfiants en 2014. Les archives en ligne du Parisien/ Aujourd’hui en France ne recensent pourtant que huit articles sur ces trois affaires. Alors pourquoi cette bulle médiatique s’agissant de Pierre Palmade ?
Chronologie
10 février
Accident de Pierre Palmade. Son pronostic vital est engagé. La collision a fait quatre victimes ; le pronostic vital de trois d’entre elles est engagé. La jeune femme, enceinte de six mois et demi, est blessée dans la collision et perd son enfant à naître. Deux passagers de Pierre Palmade ne sont plus sur les lieux de l’accident à l’arrivée de secours.
11 février
Les analyses toxicologiques confirment que Pierre Palmade avait consommé de la cocaïne et des médicaments de substitution
12 février
Perquisition du domicile de Pierre Palmade à Cély-en-Bière (Seine-et-Marne).
13 février
Camille Chaize, porte-parole du ministère de l’intérieur, demande sur France Info aux deux passagers de Pierre Palmade de “se rendre dans n’importe quel commissariat ou brigade de gendarmerie pour expliquer les faits”.
14 février
Témoignage d’Hélène Palmade, sa sœur : “Il assumera toutes les conséquences de ses actes avec la conscience terrible qu’il ne pourra jamais réparer le mal qu’il a fait. Aussi vain que cela puisse paraître, Pierre leur demande pardon du plus profond de son âme.”
Pierre Palmade sort du service de réanimation.
Intrusion dans le domicile de Pierre Palmade à Cély-en-Bière.
15 février
Les policiers notifient à Pierre Palmade sa garde à vue pour “homicide et blessures involontaires”.
Mohcine E. est interpellé à Clichy-la-Garenne (Hauts-de-Seine). En fin de journée, Sambou G. se présente au commissariat de Melun. Dans l’après-midi, un avocat se présentant comme son conseil avait prévenu les enquêteurs de sa prochaine reddition. Les deux passagers sont mis en garde à vue pour “non-assistance à personne en danger”.
17 février
Pierre Palmade est mis en examen pour “homicide et blessures involontaires”. ll est placé sous contrôle judiciaire, et assigné à résidence au service d’addictologie de l’hôpital Paul-Brousse de Villejuif (Val-de-Marne), sous surveillance électronique. La détention provisoire n’a pas été retenue par le juge des libertés et de la détention. Le ministère public fait appel.
Mohcine E. et Sambou G. ne sont pas mis en examen pour “non-assistance à personne en danger”. Ils sont placés sous le statut de “témoin assisté”.
Le parquet de Melun confie à la gendarmerie une enquête pour “infraction à législation sur les stupéfiants”.
18 février
Pierre Palmade est visé par une enquête préliminaire pour “détention d’images à caractère pédopornographique” après le signalement d’un témoin.
19 février
Perquisition du domicile parisien de Pierre Palmade.
Dans Le Journal du dimanche, Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur, souhaite la création d’un délit d’“homicide routier”.
Paris Match publie des images de Pierre Palmade sortant par une porte dérobée du tribunal de Melun et marchant, sans difficulté apparente, pour s’engouffrer dans un taxi.
20 février
Seconde perquisition du domicile de Pierre Palmade à Cély-en-Bière
21 février
A Bordeaux, les enquêteurs entendent en audition libre le témoin qui affirme détenir des vidéos dans lesquelles Pierre Palmade consulte des images pédopornographiques.
Invité de “Touche pas à mon poste” sur C8, Karl Zéro assure qu’il existe des vidéos pédopornographiques incriminant Pierre Palmade et évoque la présence “d’un ministre, de deux fils de personnalités connues” au domicile de Pierre Palmade à Cély-en-Bière, juste avant l’accident.
23 février
Les policiers de la Brigade de protection des mineurs placent en garde à vue deux hommes de l’entourage de Pierre Palmade dans le cadre de l’enquête préliminaire.
25 février
Un des deux hommes est mis en examen pour “détention et diffusion de fichiers pédopornographiques”. Le parquet de Paris élargit l’enquête au chef de “consultation habituelle de sites pédopornographiques”.
Pierre Palmade est victime d’un AVC à l’hôpital Paul-Brousse de Villejuif.
27 février
Pierre Palmade est placé en détention provisoire sur son lit d’hôpital, dans l’attente de son transfèrement dans un établissement pénitentiaire.
Le garçon blessé dans l’accident quitte l’hôpital Necker, à Paris.
1 mars
Diffusion sur BFM TV d’un entretien de Bruce Toussaint avec une personne présentée comme un témoin-clé, qui affirme avoir été présente dans la maison de Cély-en-Bière le jour de l’accident et confirme figurer, aux côtés de Pierre Palmade, dans une vidéo saisie dans le cadre de l’enquête préliminaire. Mais, elle défend Pierre Palmade et dit clairement qu’“il n’est pas pédophile”.
5 mars
Pierre Palmade est transféré à l’hôpital Marie-Lannelongue au Plessis-Robinson (Hauts-de-Seine).
6 mars
Le juge d’instruction chargé du dossier de l’accident lève la détention provisoire. Le parquet de Melun dépose un référé-détention.
7 mars
La Cour d’appel de Paris ordonne la remise en liberté de Pierre Palmade.
9 mars
Invité de “Touche pas à mon poste” sur C8, Gérard Fauré, présenté comme “l’ancien dealer du Tout-Paris”, évoque la consommation supposée d’adrénochrome par Pierre Palmade, une drogue soi-disant synthétisée à partir du sang d’enfants “kidnappés par des Roumains”.
23 juin
L’expertise en accidentologie conclut que l’accident provoqué par Pierre Palmade relève de la faute humaine, sans aucune anomalie mécanique ou électronique.
8 août
L’expertise médicale conclut que l’enfant à naître, porté par la victime de l’accident, n’a présenté aucun signe de vie à sa naissance.
27 mai
Jean-Michel Bourlès, procureur de Melun, informe que le juge d’instruction a renvoyé Pierre Palmade en procès pour “blessures involontaires ayant entraîné des incapacités totales de travail supérieures et inférieures à trois mois”. La réquisition du parquet en faveur d’un procès pour homicide involontaire n’a pas été retenue.